A Taste Of Honey : We're Bloody Marvellous !

Chronique du film. Les films issus du mouvement Angry Young Men ont marqué mon adolescence. C'étaient déjà des classiques vénérables (M*A*S*H, Five Easy Pieces, Orange Mécanique venaient de sortir lorsque j'ai vu Look Back In Anger, le film-manifeste de 1959). J'en ai vu beaucoup, ignorant à l'époque leur étiquette de kitchen-sink movies, films d'évier. J'ignorais aussi que, s'ils étaient aussi présents sur les écrans et à la télé dans mon pays natal (Roumanie), c'était pour des raisons de propagande.


Comme je l'appris plus tard, il s'agissait des tout premiers films conçus et / ou réalisés par des auteurs issus de la classe ouvrière, décrivant les conditions de vie du sous-prolétariat anglais. La propagande ayant toujours des effets pervers, ma génération se fichait de cet aspect, je ne me souviens d'aucune discussion sur le sujet. Et pour cause. Nous avions deviné (sans théoriser) la différence majeure entre ces films et les films "réalistes" italiens ou français des années 40-50 qui, soit prenaient comme sujet le "prolo" pour dénoncer le chômage, l'injustice, la brutalité du progrès, la perversité de la société de consommation naisssante, soit pour se complaire dans une sorte de poésie de la misère (complaisance que je trouve encore aujourd'hui nauséabonde).

Dans tous les cas, les pauvres ne pouvaient avoir que des problèmes de pauvres. Arrivent ces films anglais où les pauvres se fichent de la lutte des classes. Des working class heroes pas militants mais rebelles sans cause,  des pauvres qui osent avoir des problèmes de riches et des exigences itou : le plaisir immédiat et égoïste, la fête, la glande, les passions compliquées, la vie sans entraves et sans tabous. Ils veulent faire la révolution, oui, mais la révolution sexuelle. En somme l'idéal de vie des ados des seventies... (A Taste Of Honey fut classé X à sa sortie).

Nous étions aussi fascinés par la photographie de ces films (mes goûts en matière de photo en ont été grandement influencés, avant de l'être en filiation logique par les photographes de la scène rock américaine). Egalement par le jeu des acteurs, si différent des Spartacus, Alamo et autres West Side Stories réalisés à la même époque. Et par le point de vue, car tout était "vu" à travers le regard de ceux qui vivaient sur l'écran : nous n'étions plus devant, mais parmi eux. Que nous le voulions ou non.

Mais nous étions subjugués surtout, je crois, par l'utilisation du paysage, qui plus est un paysage urbain sans fard, présent dans tous ces films non pas comme décor mais comme personnage à part entière, avec son propre "jeu", son propre devenir, son propre message. Contrairement aux apparences, ce paysage est minutieusement mis en scène et nous adorions deviner le travail derrière telle ou telle scène de rue. C'était comme résoudre une énigme. C'étaient nos premiers pas de cinéphiles.

Jo et Geoff : ‘I’m an extraordinary person! There’s only one of me, like there’s only one of you.
We’re unique! Young! Unrivalled! Smashing! Bloody marvellous!’

Aujourd'hui encore j'en suis émerveillée, comme dans la scène-pivot du film (à la fin de l'extrait que j'ai mis ici) où, lorsque les deux personnages lèvent les bras et s'exclament : "We're bloody marvellous", le paysage derrière eux, inerte jusqu'alors, se met soudain en mouvement. Un bus part de droite à gauche, un autre démarre, une floppée d'enfants surgit en courant... Alors on sent vraiment le goût du miel.

 Allez à :  
Shelagh Delaney, pionnière de la niaque de vivre.